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06. April 2023 | Nutricia Forum
La médecine moderne apporte à notre société de nombreux avantages, mais aussi plus d’occasions d’expérimenter la douleur dès le plus jeune âge. L’administration de vitamine K par injection ainsi qu’un prélèvement de sang par piqûre au talon (dans le cadre de l’indispensable dépistage néonatal; voir encadré) sont désormais des soins de routine; puis, dès l’âge de six semaines, commencent les premières vaccinations. Mais les premiers concernés sont les bébés malades ou prématurés traités en unité de soins intensifs: à l’hôpital, ils subissent chaque jour environ quatorze actes nécessaires, mais douloureux.1
Vu de l’extérieur, les nourrissons expriment la douleur par diverses réactions telles que des pleurs, des modifications de l’expression du visage et des mouvements du corps. Cependant, la douleur chez le nouveau-né peut aussi être mise en évidence par diverses réactions biologiques comme une modification de la fréquence cardiaque et de la saturation en oxygène du sang.2
La douleur du tout-petit et ses conséquences
Des douleurs répétées dans la prime enfance peuvent avoir des répercussions physiques et émotionnelles à court et à long terme – par exemple une sensibilité accrue à la douleur –, qui ont été associées à une perturbation du développement cérébral plus tard au cours de la vie.3 Les conséquences à long terme des douleurs de la petite enfance, telles qu’une modification du sens du goût, de l’anxiété et une perturbation du traitement psychique de la douleur, sont de mieux en mieux établies, surtout chez les grands prématurés.4
Un soulagement par le lait maternel
Le lait maternel semble jouer un rôle particulier à cet égard. Il contient du lactose, qui lui donne un goût sucré, ainsi que du tryptophane, qui favorise la sécrétion d’opioïdes endogènes: deux conditions favorables à un apaisement des réactions douloureuses.5 Les études montrent que, comparée à la vanille, la seule odeur du lait maternel réduit les variations de la fréquence cardiaque et de la saturation en oxygène dans le sang des prématurés lors d’une ponction veineuse.6 On a en outre constaté que les nourrissons allaités tenus par leur mère présentaient des scores de douleur moins élevés lors de l’administration d’un vaccin. Plus particulièrement, ils pleuraient moins longtemps, leur fréquence cardiaque était plus basse et leur saturation en oxygène plus élevée.7
Une approche multisensorielle
D’autres études indiquent que des stimulations multisensorielles impliquant le goût du lait maternel, des effleurements légers et le passage d’un enregistrement de la voix maternelle peuvent avoir un effet antalgique.8 Sur le plan physiologique, ces mesures semblent inhiber la réaction douloureuse en activant certains processus comme la sécrétion d’endorphines et la modulation de certaines cellules de la moelle épinière grâce au «gate control» (ou effet portillon).9 Les études ne vont toutefois pas toutes dans le même sens: d’autres recherches portant sur l’effet du lait maternel, de son odeur ou de son goût – en l’absence d’autres stimulations – n’ont pas confirmé cet effet analgésique.10; 11
Un dépistage néonatal plus doux
Un dépistage néonatal plus doux. Une étude récente menée à Taïwan a donc cherché à évaluer l’effet analgésique de l’odeur et du goût du lait maternel dans le cadre d’une stimulation multisensorielle chez 114 nouveau-nés chez lesquels on prélevait du sang par piqûre au talon dans le cadre du dépistage néonatal.12 Ils étaient répartis en trois groupes: les nourrissons du groupe témoin, qui étaient effleurés doucement tout en entendant la voix bienveillante du médecin, et ceux des deux groupes test qui, en plus, étaient stimulés par l’odeur du lait maternel (grâce à un coton imbibé de lait maternel) ou par l’odeur et le goût du lait maternel (2,5 ml de lait maternel donnés par la bouche dans une seringue). Un effet analgésique a été mis en évidence dans les deux groupes test: par rapport au groupe témoin, les nourrissons avaient une variation moins importante de la fréquence cardiaque et une saturation en oxygène plus élevée, et pleuraient significativement moins. Ces résultats mettent une fois de plus en évidence l’étendue des effets du lait maternel et de l’allaitement. Outre ses effets positifs largement reconnus sur le système immunitaire et ses avantages à long terme sur le développement et la santé de l’enfant, le lait maternel semble aussi, par un mécanisme peu étudié jusqu’ici, avoir une influence sur la douleur aiguë et, à plus long terme, sur le traitement de la douleur et ses répercussions psychologiques et physiologiques.
Le dépistage néonatal
En Allemagne, en Autriche et en Suisse comme dans beaucoup d’autres pays, tous les nouveau-nés sont soumis à un dépistage néonatal pendant les premiers jours de leur vie. Pour cela, quelques gouttes de sang sont prélevées au niveau du talon, puis déposées sur une carte en papier buvard et envoyées en laboratoire pour rechercher des maladies héréditaires rares comme l’hypothyroïdie, la phénylcétonurie (PCU), la galactosémie et bien d’autres.
On s’assure ainsi que ces maladies qui, non prises en charge, entraînent souvent des atteintes physiques et mentales très graves, sont dépistées à temps, avant l’apparition des premiers symptômes. Une prise en charge rapide des nourrissons identifiés par le dépistage dans des centres spécialisés dans les troubles du métabolisme permet d’instaurer un traitement adapté et de jeter les bases d’un développement pratiquement normal.13
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